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vendredi 19 décembre 2008

Rumbatá (Camagüey): premier cd chez la Egrem

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Une fois n'est pas coutume: le groupe que nous présentons ici n'est ni havanais, ni matancero, ni même américain, il est de Camagüey. Si l'on savait déjà que Santiago de Cuba comptait d'excellents groupes de rumba, tels que le cinquantenaire Folkloyuma, ou d'autres plus récents tels Rumbaché, Bonkó Enchemiyá, Kazumbi, El Cocoye, Rumberos de Hoy, peu de gens à Cuba-même connaissaient l'existence de ce groupe de la 3e ville de Cuba, fondé en 1996, jusqu'à ce que celui-ci se mette à gagner des prix dans les festivals nationaux de rumba, dont un 2e prix derrière les Muñequitos de Matanzas et devant… Yoruba Andabo!


Ce cd est le 3e projet discographique du groupe, et apparemment le seul qui ait abouti, mais directement chez la Egrem et non dans une de ses filiales, ce qui constitue une incontestable preuve de reconnaissance nationale.

Wilmer Ferrán mayorcero au sein du "tambour" Obanitiyé
(photo Malik Choukrane)

Le groupe Rumbatá est essentiellement le projet d'un seul homme: Wilmer Ferrán Jiménez. Ce percussionniste, chanteur et danseur, originaire de la petite ville de Florida, est venu à Camagüey à l'âge de 19 ans pour y devenir danseur classique. C'est dans cette capitale de province qu'il s'est ensuite passionné pour l'afro-cubain et la rumba, pour finir par entrer dans le Ballet Folklorique de Camagüey, dans lequel il fera quelques aller-retours, en alternance avec son propre projet artistique: Rumbatá. Les anciens groupes de rumba de Camagüey du quartier de Reparto Prieto (le Septeto Veinte, Guatoko Kunacheto, Los Yoyos) n'ont jamais réussi à s'imposer dans une ville où le folklore a eu beaucoup de mal à exister, très mal vu par une classe dominante blanche issue de la bourgeoisie sucrière du XIXe siècle. Tous les musiciens des groupes initiaux ont dû émigrer dans d'autres villes pour continuer à exercer leur art.


Le projet de Wilmer Ferrán a d'abord été de faire (sur-)vivre la rumba à Camagüey en y créant une peña hebdomadaire. Il a ensuite présenté son groupe Rumbatá à une commission d'évaluation de l'état, sans succès. La seconde commission aura été la bonne: le groupe deviendra professionnel et ses membres percevront enfin un salaire (de l'état). Les tournées et les concerts deviendront plus fréquents, dans tout Cuba, ainsi que les confrontations avec d'autres groupes.


Les rapports de Rumbatá avec les grandes formations de rumba de l'île ont toujours été excellents, et tous ont répondu aux invitations de celui-ci à venir se produire à Camagüey. Wilmer a appris très vite à jouer, chanter et danser un grand nombre de styles afro-cubains: il est à la fois omo-aña dans le tambour Obanitiye de Camagüey, et l'une des principales figures du Ballet Folklorique de Camagüey.

Le percussionniste, chanteur et auteur de rumbas guantanamero Santiago Garzón Rill "Chaguito" (Clave y Guaguancó, Rumberos de Cuba…) a collaboré avec Rumbatá. C'est lui qui est l'auteur du premier morceau du cd, "Rumba y Batá" (qui figurait sur les précédentes maquettes du groupe). Chaguito apparaît également ici en tant que musicien invité: il joue le quinto sur deux morceaux. Le disque est produit par un autre Floridano célèbre: Manolito Simonet.


Le style du groupe est résolument moderne, et rappelle les enregistrements récents de Clave y Guaguancó. Les thèmes sont souvent rapides, comme l'est (trop) systématiquement la rumba moderne; Les "efectos" (ou "breaks" sont particulièrement complexes et déstabilisants. Les instruments utilisés sont dans l'esprit de Yoruba Andabo ou du Clave y Guaguancó actuel: un mélange de cajones, congas et batá. Les choeurs y sont "surproduits" (comme dirait notre ami Barry Cox), et l'ajout de voix graves leur donne une densité difficile à retrouver ailleurs que dans un studio d'enregistrement.
Le premier morceau, "Rumba y Batá", qui apparait donc comme le thème-indicatif du groupe, est un guaguancó enlevé, chanté par Wilmer Ferrán. Le second, "Sarayenye", est présenté comme "batarumba"et chanté par Reynaldo Pérez Dominguez. Le troisième, "Candil de Nieve", est une chanson de Raúl Torres ré-arrangée par Wilmer Ferrán (voir la vidéo ci-dessous).


(posté sur YouTube par "Tresero Mayor")

Le quatrième est un magnifique yambú, utilisant un vieux thème de rumba mimétique, qui rappelle fortement le célèbre yambú "Mamá Abuela". Il est chanté - comme c'est souvent le cas pourles yambú - par une femme: Nerina Calderón Padrón, chanteuse soliste du groupe (voir la vidéo ci-dessous).


(posté sur YouTube par Guachoko)

(Leordán Gómez Basulto)

Le cinquième, "No se Atreva" est un guaguancó très rapide, et le quintero est le jeune Leordán Gómez Basulto, autre membre du Ballet Folklorique de Camagüey, habituel joueur de catá du groupe, qui est également un remarquable chanteur. Le sixième, "Mariposita de Primavera", une chanson de Miguel Matamoros, est le seul tempo medium du cd. Le septième, "Yeyo, Compadre" est également un ancien guaguancó du groupe, lui aussi joué sur un tempo frénétique. Il contient quelques "breaks" d'anthologie et un refrain des plus efficaces:

"Oye, me tienes loco, noche mañana y tarde
Por eso la gente dice: ¿que pasa Yeyo, compadre?"


Le huitième morceau du cd est une excellente reprise du célèbre mozambique "María Caracoles" de Pello el Afrokán.
Le neuvième est une belle columbia, "La Última Bala", chantée en partie par Wilmer Ferrán. Il raconte en quelque sorte dans la première décima sa rencontre marquante avec la rumba:

"Yo soy un hombre que siempre he vivido a mi manera (bis)
Rebasando la frontera del respeto y el cariño
Recuerdo que siendo un niño a un solar me encaminé
Y en su interior me encontré con tremenda rumbantela
Y en esa grandiosa escuela de rumberos me gradué
De clave, congo y bembé se fundió todo mi cuerpo
Y del mundo de los muertos vinieron los mas famosos
Quintín, Frila y Chano Pozo
El mayor Camagüeyano Itapi Kako
Ellos dieron a mi voz cadencia clara y divina
Y me hicieron la escalera
Para subir a la cima


Mais l'auteur de cette columbia est, d'après les crédits du cd, un certain Carlos Alberto Guillén Morales.

Le dixième et dernier morceau, "La Botella", est une rumba-rap comique, avec un rappeur cubain invité: Edifredo Martínez Sanjil (voir vidéo ci-dessous).


("La Botella" posté sur YouTube par Tresero Mayor)

Ceux qui connaissent Wilmer Ferrán sauront combien la sortie de ce cd - surtout chez la Egrem - aura comblé ses désirs les plus chers, tant sa lutte pour faire reconnaitre son groupe aura été longue et difficile. Ils savent aussi quelles qualités humaines possède cet homme remarquable, et se réjouiront avec moi de cette étape décisive dans son parcours artistique. Beaucoup de musiciens de Camagüey ont dû quitter la ville pour exister en tant qu'artistes, et rejoindre La Havane. La démarche de Wilmer en est d'autant plus courageuse, et grâce à lui on ne pourra plus ignorer que Camagüey elle-aussi possède des artistes de folklore, de premier plan. La sortie de ce cd en est désormais la preuve, et rien que pour cela Wilmer mérite un encouragement et un sincère et admiratif: bravo!

Au sein du Ballet Folklorique de Camagüey
(Photo: Anne Rayet)




('Maye Santa", Festival Cubadisco 2007, posté sur YouTube par La Timbala)

(Columbia, posté sur YouTube par gmusser - le second chanteur est Leordán Gómez Basulto)