
À l'occasion de la sortie du dernier cd du groupe "Conjunto de Clave y Guaguancó" considéré en France par la plupart des musiciens comme un groupe au style résolument "moderne", nous allons tenter de rappeler qu'il a été pendant les deux tiers de son existence le groupe le plus traditionnaliste et conservateur de toute l'histoire de la rumba cubaine.
Premier orchestre de rumba jamais constitué (dans le but de réaliser des spectacles et non de la rumba spontanée ou "de quartier"), le "Conjunto de Clave y Guaguancó" fête actuellement son 60e anniversaire, bien que, curieusement, personne ne sache exactement quand il ait été fondé. Comme nous l'a rapporté Gregorio "El Goyo" Hernández: dans une interview qu'Amado De Jesús Dedeu García (actuel directeur du groupe) a fait d'Agustín Pina "Flor de Amor" (premier directeur du groupe), ce dernier se rappelle uniquement que la fondation de Clave y Guaguancó a eu lieu "pendant la seconde guerre mondiale". On suppose donc - par défaut - qu'il s'agit de 1945, l'année-même de la naissance d'Amado Dedeu!

La discographie du Conjunto de Clave y Guaguancó se compose de:
-un 1er album sorti en 1994 (après 50 ans d'existence!), "Songs & Dances" ou "Cantaremos y Bailaremos" (XENOPHILE GLCD 4023)
-un 2e album sorti en 1997, "Déjala en la Puntica" (ENJA TIP-8888292)
-un 3e album sorti en 1998 avec Celeste Mendoza et Changuito, "Noche de la Rumba"
-un album-compilation des trois premiers appelé "56 Años de Rumba"
-une participation aux projets "La Rumba del Siglo" (1 morceau) et "La Rumba Soy Yo - vol.1" (1 morceau) au moment du passage à l'an 2000.
-une participation au double-album "Cuando los Espíritus Bailan Mambo", pour 4 morceaux, en 2003
-ce nouvel album intitulé "La Rumba que no Termina", dans lequel interviennent de nombreux invités dont: El Ambia, Issac Delgado, Ángel Bonne, le trompettiste "Julito" Padrón, El Negro Triana et Lázaro Rizo.
Le livret du cd nous apprend que Conjunto de Clave y Guaguancó:
"fut fondé fin 1945, avec pour but de réhabiliter le style de rumba de l'époque coloniale (avant 1900), période pendant laquelle les autorités espagnoles interdirent l'usage du tambour dans toutes les célébrations que faisaient les esclaves noirs". Cette affimation d'interdiction du tambour doit être très nuancée, car la situation au XIXe siècle n'a pas été aussi catégoriquement répressive, loin de là…
"L'idée a surgi parmi un groupe d'amis, dans sa majorité musiciens, un 2 novembre ("jour des défunts"), dans le cimetière Colón de la Havane. Parmi ses fondateurs, on peut rappeler:-Agustín Pina Sánchez "Flor de Amor", chanteur du Sexteto Lugareño du quartier de Luyanó, et d'un coro de clave du même nom (coro de clave lugareño?).
-Agustín Guttiérrez "El Bongosero", magnifique joueur de bongó qui a intégré de célèbres groupes tels le "Sexteto Habanero" et le "Septeto Nacional".
-Gonzálo Villa, (Gonzálo Díaz?) frère du célèbre pianiste Ignacio Villa "Bola de Nieve" et percusionniste du coro de clave "Alba" du quartier de Regla.
-Mario Alán, chanteur dans divers groupes, qui a assumé plus tard la charge de directeur du Conjunto de Clave y Guaguancó."
En effet, au premier directeur du groupe, "Flor de Amor", a succédé Mario Alán, dans les années 1950.
Ajoutons un musicien manquant, le joueur de "cajita china" Gustavo Martínez "Cuchara", ci-dessous:
Manque encore le célèbre Miguel Ángel Mesa "Aspirina" qui a figuré dans le groupe au moins au milieu des années 1960, que l'on verra plus loin, dans la vidéo de 1967, et sur ce que nous appelons "la photo-mystère" de Clave y Guaguancó (voir plus bas).
Le groupe a ensuite cessé son activité, semble-t-il à la fin des années 1950 (décidément la période "noire" de la rumba) puis a été remonté, à l'initiative du musicologue Argeliers León, en 1959, et passa dans les années 1970 sous la direction de Miguel Chapottín Beltrán (actuel chanteur de Grupo Yoruba Andabó, ci dessous:).
Voici une vidéo de cette dernière époque, déjà "postée" dans un autre article:
La direction du groupe est ensuite passée dans les mains d'Amado De Jesús Dedeu, et c'est ce dernier qui en a changé la ligne directrice, dans les années où le guarapachangueo a "explosé", pour en faire un groupe "avant-gardiste".À propos du style conservateur de l'orchestre, le livret du cd nous dit encore que:
"Depuis ses origines jusqu'au milieu des années 1980, le groupe a maintenu son format original:
-Cajón Tumbador, semblable aux caisses de morue que l'on importait de Norvège,
-Cajón Repicador (cajón-quinto), semblable aux caisses dans lesquelles on importait les bougies, et
-Caja où l'on jouait les cuillers, semblable aux caisses contenant habituellement les clous et les vis."
Le nom-même du groupe est en relation avec la tradition puisqu'il la résume:
Coro de clave + coro de guaguancó = Conjunto de clave y guaguancó.
Le costume qu'à longtemps porté l'orchestre est celui des rumberos "de tiempo España": espadrilles à lacets, chemises à carreaux, foulards sur les épaules, canotiers.Le style actuel du groupe "Conjunto de Clave y Guaguancó" n'a pas grand-chose à voir avec la musique que défendait le groupe avant les années 1980.
Le livret du dernier cd nous dit encore que:
"… il a été nécessaire d'augmenter la nomenclature des modalités du complejo de la rumba avec des noms comme Guan-batá (guaguancó-batá?), Batagualumbia (batá-guaguancó-columbia?), Guan-polirritmo (guaguancó-polyrythmie?), etc…"
Le premier morceau du disque commence d'emblée avec une basse électrique et la trompette, ce qui peut paraître exaspérant si on l'interprète comme une tentative commerciale - heureusement, ce n'est qu'une introduction de 2mns.
Dès le second intervient Issac Delgado, et ressurgit l'hypothèse commerciale.
Au troisième morceau la rumba reprend ses droits, avec le magnifique chanteur "Tatá" (Pedro Francisco Almeida Berriel), racontant l'histoire du groupe. Les choeurs sont un peu "sur-produits" comme dans beaucoup de disques modernes, dans lesquels on cherche à innover à tout prix avec des arrangements de voix surchargés.
Encore une fois, il s'agit d'innovations, et il est normal qu'une musique se transforme au fil des décennies, tout comme il est normal que les réactions à ces changements soient mitigées, et qu'on soit déçu - au moins au début - de certains nouveaux apports quand ils tranchent avec une esthétique que l'on apprécie.
Le fidèle Mario "Maño" Rodríguez, originaire de Matanzas, percussionniste et chanteur, neveu de Lázaro Pedroso, figure toujours dans le groupe, malgré les changements de musiciens incessants depuis qu'Amado Dedeu a repris le groupe.
Outre Amado lui-même et son fils Amadito, un autre chanteur apparaît également dans le disque: Lién Díaz.
Le huitième morceau, "Iyá Modupue" est une vraie columbia, chantée par Amado.
Dans le morceau n°9, "Respuesta a María" le rap fait une intrusion. Le style est défini comme "catumba-rap" (sic).
Le morceau n°12, "Amigas" est qualifié de "Jazz-batá", tant il est vrai qu'il n'a plus grand-chose à voir avec de la rumba.
Le dernier morceau (n°14) clos l'album comme une descarga-conga finale qualifiée de "guaguancó-timba".
En blanc au centre: "Kokí" Sarria Linares,
au chant Arturo Martínez, à droite "Maño" Rodríguez)
Pour résumer, disons que Clave y Guaguancó a connu deux périodes résolument opposées:
-l'une, qui a duré quarante ans, "figée", défendant une tradition, pendant laquelle on a connu trois directeurs, et on a très peu changé de musiciens, où le groupe servait de "conservatoire du style ancien". Pendant cette période on n'a réalisé aucun enregistrement - sauf peut-être un dont El Goyo nous a parlé - et le groupe apparaît dans quelques documents filmés.
-l'autre, qui dure depuis vingt ans, pendant laquelle on a connu un seul directeur, mais énormément changé de musiciens, les plus fidèles étant "Maño Rodríguez", "Tatá" Berriel et le propore fils d'Amado. Le style de l'orchestre n'a jamais été fixe, partant dans de multiples directions. Cette période a vu la réalisation de quatre albums et la participation du groupe à beaucoup d'autres enregistrements avec de nombreux artistes.
LA PHOTO-MYSTÈRE DE CLAVE Y GUAGUANCÓ:
Tout au long des années 1990, j'ai vu cette magnifque photo circuler sur diverses publicités ou tracts pour des concerts, à Paris ou ailleurs, sans jamais comprendre de qui il s'agissait. C'est en voyant l'extrait de la vidéo postée par Barry Cox que j'ai enfin compris. La vidéo est datée de 1967.
Quand à la photo, c'est María Eugenia Haya Jiménez "Marucha" qui l'a réalisée dans une série de clichés, à la fin des années 1960 - supposons-nous d'après la vidéo. Nous l'avons extraite du livre "La Havane - 75 ans de photographie cubaine" par Gareth Jenkins (qui crédite la photo en 1983!, sans savoir visiblement de qui il s'agit, puisque son commentaire parle de… Buena Vista Social Club!). TOUTES les photos du groupe dans lesquelles ils portent des canotiers figurant dans cet article ont été réalisées par "Marucha".
La photo de "Flor de Amor" ci-dessus, et celle plus haut de Gonzálo Villa (ou Díaz?) sont extraites d'un ouvrage cubain en français dont le titre est "La Diane Havanaise ou La Rumba S'appelle Chano", recueil de photos de "Mayito" et "Marucha", qui contient essentiellement des photos d'un petit concert de Son, et quelques photos de Clave y Guaguancó.Les autres photos (que Barry a déniché) sont probablement extraites d'une revue cubaine, probablement "Bohemia" ou "Cartéles" (dont nous parlerons dans un prochain article). El Goyo nous a aidé - grâce à internet - en nommant tous les protagonistes de la photo, et nous l'en remercions (une fois de plus) ici. (Le montage des noms sur la photo a été réalisé par Barry, cliquer dessus pour l'agrandir).