
Música Tradicional Spirituana Vol. II, Tonadas Trinitarias
par le Conjunto Folklórico de Trinidad
(EGREM LD-4383,1987)
Liste des morceaux:
Side A:
1. Los Negros Congos (2:56)
2. El Simpá y el Tamarindo (2:46
3. Tu has Venido al Mundo (3:00)
4. Delirio (2:44)
5. A la Calle me Voy (2:20)
6. Pa' los Mayores (2:46)
7. Gloria Llegó (1:32)
Side B:
1. Para el Santo Juan de Dios (2:33)
2. Yo Vengo a Pedir Mercéd (1:58)
3. Las Mañanas de San Juan (2:00)
4. Canta Juana (2:50)
5. La Independencia (4:52)
6. Una Corona al General Maceo (3:24)
La "Tonada Trinitaria" est considérée comme un des antécédents de la Rumba.
Dans l'album d'Afrocuba de Matanzas de 1996 "Raices Africanas" on trouve la Tonada Trinitaria (sous forme de Yambú) "Pa' los Mayores":
Yo traigo pa’ los mayores de Pueblo Nuevo (bis)
Yo traigo los angelitos vestidos de oro
Las flores más elegantes de mi cantero
Clara le dijo a Cirilo:
“Cirilo, no me busques más”
Cirilo le dijo a Clara:
“Tu eres la mujer, tu eres la mujer de mi corazón”
Tún, tún, tún - ¿quién va?
Tún, tún, tún - ¿quién va?
“Soy tu marido mujer,
¿No me conoces la voz?
Abre la puerta, por Díos
Que eso sí no puede ser”
Estribillo: Llorona llorona, llorona no llores más
Cette chanson, avec sa si belle melodie et son texte si particulier (mais qui sont-donc ce Cirilo et cette Clara? Qu'ont-ils à voir avec ces "aînés" de Pueblo Nuevo? Et qui est cette pleureuse "llorona"?)
sont devenus un standard du répertoire de la rumba, et je me suis souvent interrogé à son sujet, et sur les tonadas trinitarias en général.
Que sont elles exactement? Comment les joue-t'on à Trinidad? Il est difficile de se documenter à ce sujet, et les documents sonores de ce style sont rares.
Nous allons ici tenter de répondre à toutes ces questions.
Le disque ci-dessus est venu récemment à ma connaissance, et il s'agit d'un des enregistrements les plus représentatifs de ces tonadas trinitarias. Depuis longtemps il est épuisé, et nous sommes heureux de le porter ici à la connaissance de nos lecteurs.
Afin d'apporter des réponses à nos questions, notre ami Johnny Frías, éudiant en ethnomusicologie à l'Université de Floride a partagé avec nous l'étude suivante:
Tonadas Trinitarias
par Johnny Frías
© 2008 Johnny Frías
"La Tonada Trinitaria est un genre musical originaire de la ville de Trinidad, à Cuba, située dans la partie centrale de l'île, bien connue pour son architecture coloniale et ses rues pavées."

(Photo: Wikipedia)
"Ce genre possède d'évidentes origines africaines et a été influencé par la musique des campesinos blancs.
Trinidad était le centre de l'industrie sucrière de la province de Las Villas [aujourd'hui province de Sancti Spíritus] au XIXe siècle. Troisième ville fondée à Cuba, elle a été un port important dans la Caraïbe et le théâtre fréquent de la contrebande, à cause de sa situation particulière sur la côte sud de Cuba.
Avec l'essor du commerce du sucre aux XVIIIe et XIXe siècles, de nombreux esclaves y furent déportés, dans la vallée de San Luís (appelée aujourd'hui "Vallée des Ingenios"), berceau fertile de la production sucrière des environs de Trinidad. C'est là, dans la zone rurale entourant la ville, que la tonada trinitaria est née.
["Tonada Trinitaria" signifie littéralement "chanson de Trinidad", bien que le terme de "tonada" soit connoté pour avoir été employé dans d'autres styles campesinos de Cuba. - ndt.]
Dans les barracones des esclaves, les Africains et leurs descendants ont été confrontés à la musique des paysans blancs, qui improvisaient des "décimas" au son de divers cordophones. Ils ont assimilé quelques unes de ces influences, et ont créé ce qui allait ensuite se développer en milieu urbain à Trinidad.
Les tonadas trinitarias remontent vraisemblablement à l'année 1851, selon les informations rassemblées par Enrique Zayas. Elles étaient pratiquées par les noirs de pauvre condition, par les métis et les blancs des quartiers marginaux, et préservées dans les cabildos de diverses nations africaines.
Vers 1860s ces musiques – connues auparavant sous les noms de tango puis de fandango – étaient pratiquées par des chanteurs et des joueurs de tambour lors des fêtes calendaires de Trinidad. Des orchestres originaires de différents barrios (quartiers), ou des alentours, de la ville se rencontraient pour chanter, danser, rivaliser, et parader dans les rues, tout comme le faisaient les coros de clave.
Les formations orchestrales se composent de chanteurs solistes ("guías" ou "gallos"), d'un choeur mixte, et de tambours. On donne à tous ces musiciens l'appellation de "tonadistas". Le choeur responsorial alterne avec différents gallos en compétition, improvisant des vers sur un thème donné.
Le gallo commence avec le thème ("tema" ou "estribillo") et est immédiatement rejoint par la percussion, puis le choeur lui répond. La métrique primordiale est ternaire, bien qu'elle contienne des éléments binaires, dans le chant comme dans la percussion. Ces groupes interprètent également de la rumba dans le même format d'orchestre, au sein de leur répertoire de tonadas, qui compte des centaines de pièces.
Les thèmes des chansons peuvent être patriotiques (ou politiques, ou bucoliques, ndt), amoureux, religieux, ou commenter le contexte social. Le répertoire se transmet oralement à travers les générations, et appartient maintenant entièrement au folklore, la plupart des auteurs étant inconnus.
Les instruments sont: trois tambours spécifiques de la tonada trinitaria, une muela ou guataca (lame de houe) et un güiro. Les tambours, de par leur mode de tension, ont une probable origine "carabalí", leur fûts sont courts pour faciliter le caractère déambulatoire des groupes. Ils sont appelés [du grave à l'aigu] "bombo" ou "salidor"; "un solo golpe" ou "marcador"; et "quinto". La muela, le güiro, le bombo, et le marcador jouent des cellules répétitives, alors que le quinto improvise."

Trinidad 1983 (photo du CIDMUC)
Notez les similarités de taille et le système de tension "à coins"
avec les tambours abakuá, d'origine carabalí
(frontière sud-Nigeria et Cameroun) ci-dessous:
avec les tambours abakuá, d'origine carabalí
(frontière sud-Nigeria et Cameroun) ci-dessous:

Jeu de tambours abakuá
Ils sont plutôt côniques,
par opposition à la forme tubulaire
de ceux des tonadas trinitarias.
(Photo: Folkuba.com)
Ils sont plutôt côniques,
par opposition à la forme tubulaire
de ceux des tonadas trinitarias.
(Photo: Folkuba.com)
"Suit maintenant le seul disque de tonadas trinitarias existant, par le Conjunto Folklórico de Trinidad, qui inclut des tonadas dans son répertoire généralement joué au "Palenque de los Congos Reales".
Malheureusement, la plupart des vrais groupes de tonadas trinitarias ne sont plus actifs, et le répertoirene survit plus que dans la mémoire de quelques tonadistas. (…)"
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Bibliographie::
-Esquenazi Pérez, Martha "Del Areito y otros Sones", La Habana: Ediciones Adagio, 2007.
-Giro, Radamés. “Tonada Trinitaria”, Diccionario Enciclopédico de la Música Cubana, 2007.
-Zayas, Efraín, interview, 7 Juillet 2008.
-Zayas Bringas, Enrique. “La Tonada Trinitaria: También es Campesina.”
Nous ajouterons ici quelques extraits de l'article de Rolando Pérez's "El Tambor en las Tonadas Trinitarias" dans "Clave", La Habana, 1986:
"Las tonadas dejaron de salir a la calle en 1958, ya muertos Alfonso Puig y Venerando Lugones, sus propulsores. Sus respectivos sobrinos: Manuel Quesada Puig y Francisco Cuéllar Lugones... continuaron, algunos años más tarde, la vieja tradición."
("Les tonadas ne "sortent" plus depuis 1958, date de la disparition d'Alfonso Puig et de Venerando Lugones, ses principaux protagonistes. Leurs neveux, Manuel Quesada Puig et Francisco Cuéllar Lugones ont repris l'ancienne tradition, quelques années plus tard.)
"En tiempos pasados se establecían controversias entre los grupos de tonadas de diferentes barrios como los de Jibabuco y el Simpá, en las que se decían, a través del canto, las cosas que se sabían uno de otro. Es por ello que, al decir de Manuel Quesada ("Bola"), las tonadas eran cantos de picapleitos que a menudo terminaban de bronca."
("Dans les temps anciens se formaient des "controversias" (duels verbaux) entre les groupes de tonada groups de divers quartiers comme ceux de Jibabuco et du Simpá, dans lesquelles on divulgait, en chanson, ce qui se racontait au sujet de l'autre groupe. C'est pourquoi, comme le disait Manuel Quesada ("Bola"), les tonadas étaient des chants de controverses qui finissaient souvent en rixes.")
"Las tonadas se cantaban y tocaban en ocasión de la Fiesta de San Juan y San Pedro los días veintitrés y veintinueve de junio respectivamente. La víspera de San Juan se cantaba por las calles durante toda la noche, y al amanecer los músicos iban al rio y se lavaban la cara con sus aguas, costumbre que evidencias las vinculaciones religiosas de esa tradición musical."
("Les tonadas se chantaient et se jouaient lors des Fêtes de Saint Jean et de Saint Pierre, respectivement les 23 et 29 juin. La veille de la Saint Jean on chantait dans les rues toute la nuit, et à l'aube les musiciens allaient se laver le visage à la rivière, usage qui met en évidence les rapports à la religion de ces traditions musicales.")
"Según nos han comunicado, las tonadas se tocaban también en las festividades de San Antonio (trece de junio), patrón del Cabildo de Congos Reales de Trinidad. En relación con esto debemos recalcar que las tonadas trinitarias han estado asociadas en su desarrollo con dicho cabildo. Algunos de los integrantes pertenecian y pertenecen aún al grupo de tonadas. Un ejemplo de ello fue Venerando Lugones, quien era cajero - tocador de caja - en el cabildo y tocador de quinto en las tonadas."
("Selon ce qu'on nous a dit, les tonadas jouaient également à la Saint Antoine (le 13 juin), Saint-patron du cabildo de Congos Reales de Trinidad. En relation avec ce fait nous devons souligner que la transformation des tonadas trinitarias a été associée avec ce même cabildo. Certains de ses membres appartenaient et appartiennent encore à des groupes de tonada. Comme par exemple Venerando Lugones, qui était cajero - (joueur de caja) - dans le cabildo et joueur de quinto dans les tonadas.")
Revenons à "Pa' los Mayores", qui est classée comme yambú par Afrocuba de Matanzas, alors qu'elle contient des éléments d'au moins trois genres cubains différents:
-nous savons qu'elle a des origines dans la tonada trinitaria,
-de plus, à propos du refrain "Cirilo y Clara", Helio Orovio nous dit "qu'elle est une conga",
-et enfin Rolando Pérez dit de "Llorona llorona, llorona no llores más" qu'elle serait une "rumba managua", genre accompagné par les mêmes tambours de tonadas trinitarias, dans les cabildos congos de Trinidad.
ÉCOUTEZ ici "Pa' los Mayores" dans sa forme de Trinidad:
Téléchargez l'album complet en cliquant ICI.
(ndt. - grâce à Daniel Chatelain:)
En 1986, Rolando Pérez a publié dans le n°3 de la revue cubaine "Clave" un article de huit pages d'une remarquable précision sur le sujet (trop rare) de la tonada trinitaria.
Cet article a été traduit en français en 1997 par Francis Genest et publié dans le n°58 de la revue Percussions de Michel Faligand. Les photos sont du Cidmuc et les illustrations d'un certain Sr. Cordoba. Je ne sais si elles ont été publiées dans l'article de Percussions. Les voici:

Dans les divers articles publiés, on compare les tambours de tonada trinitaria aux tambours enkomo abakuá, et si leur similitude est grande, on oublie généralement de préciser que ces tambours se jouent assis et à deux mains - alors que les enkomo se jouent debout et d'une seule main, l'utilisation de l'autre main étant limitée à des "touches".

Sur cette seconde photo, ainsi que sur l'illustration qui suit, on constate également que les "zunchos" (cercle de cordes maintenant les coins) sont situés plus haut que sur les tambours enkomo (voir les photos de tambours abakuá plus loin).

Tambours enkomo abakuá:



On note généralement, dans les divers ouvrages publiés sur la tonada trinitaria, une différence morphologique supplémentaire entre tambours de tonada trinitaria et enkomo: les premiers sont cylindriques et les seconds légèrement côniques. Notons également que les tambours de Trinidad sont également un peu plus grands que ceux des abakuá.