La nouvelle a fait l’effet d’une bombe dans le petit monde des amateurs de rumba et d’afro-cubain le mois dernier : l’exhumation de deux 78 tours de Carlos Vidal Bolado enregistrés chez SMC Pro-Arte en 1948, dont personne n’avait jamais parlé auparavant. Nous allons dans le présent article décrire et analyser cette découverte et ses conséquences.
Avant toute chose nous aimerions préciser, corriger, enrichir, illustrer et finalement commenter cette discographie, car la situation est complexe, le classement problématique et – une fois de plus – nous prouvera que la rumba est bien une musique marginale. Voici notre version :
Enfin, deux morceaux du groupe ancien
Los Parragueños semblent eux-aussi mériter d’appartenir à cette discographie. À propos de ces morceaux qui figuraient sur une cassette appartenant à
Mark Sanders,
El Goyo nous dit :
"El grupo que canta "La Virgencita de mi Camino," se llamaba "Los Parragueños," le pusieron ese nombre a su grupo, porque todos eran de Párraga, un barrio del municipio "Arroyo Naranjo" donde yo vivía. Todos sus miembros eran amigos mios y con todos ellos yo rumbeaba en el solar "El Marinero" en dicho barrio... Grabaron una sola vez y fue en los estudios de Radio Progreso"
Ces trois dernières possibilités (Celeste Mendoza, Clave y Guaguancó et Los Parragueños) sont malheureusement impossible à dater…
Pour finir, nous aimerions parler d'enregistrements ethnomusicologiques: si nous avons déjà évoqué que
Robert Farris Thompson aurait très bien pu enregistrer de la rumba à La Havane et Matanzas en 1943 (il avait comme guide… Alberto Zayas!) mais que finalement aucune rumba enregistrée par lui n'a jamais été éditée sur un disque. Grâce à Mark Sanders nous savons maintenant qu'il y eut un autre ethnomusicologue américain ayant enregistré à Cuba en 1948,
Richard Alan Waterman. Celui-ci à fait graver sur des 78 tours (56 disques) et des 33 tours (18 disques) contenant pas moins de 250 chansons 'en langues afro-américaines et en espagnol' enregistrées à La Havane et à Cárdenas. Ces disques seraient conservés dans deux universités américaines et interdites à la copie: aux Archives de Musique Traditionnelles de l'Université de l'Indiana et à la bibliothèque de la Northwestern University.
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Une fois cette liste re-précisée et completée, il nous faut maintenant poser plusieurs problématiques, propres à chaque album :
-Les enregistrements de Chano Pozo, 1947.On sait dans quelles conditions ces pièces ont été enregistrées : il ne s’agit pas là d’un groupe de rumba ni même de rumberos, Chano Pozo et Carlos Vidal mis à part - et de ce dernier nous parlerons plus loin. Dans le studio d’enregistrements étaient présents les musiciens de l’orchestre de Machito. Díaz Ayala, citant Max Salazar, nous dit :
"En enero de 1947 Miguelito le presentó a Chano el Sr. Gabriel Oller, dueño del sello Coda, y le propuso que grabara a Chano. Oller aceptó si Olga Guillot, recién llegada de La Habana, fuese parte de la sesión. Durante las próximas semanas Chano grabó 12 números para la Coda. A las 11:00 am del día 4 de febrero de 1947, la orquesta de Machito, Miguelito Valdés, Chano Pozo, Arsenio Rodríguez, Olga Guillot y Oller se reunieron en los estudios de grabación Nola en la calle 57. Hoy esa reunión es parte de la historia musical. Recuerdo que era un día frío, me contó Miguelito. Compramos varias botellas de whiskey para calentarnos. El Whiskey fué el pago para la orquesta Machito… ellos donaron su trabajo para ayudar a Olga y Chano. Chano conjuntamente con Miguelito (Valdés), Arsenio (Rodríguez), Carlos Vidal en las congas y Bilingui Ayala en los bongó grabaron cuatro números de música percusiva de los cuales La Teta es está incluída en este album (Oller lo rebautizó ‘Ritmo afrocubano n°4’)".
Dans leur forme les trois rumbas enregistrées ne sont pas traditionnelles au sens strict. On y a utilisé un bongó. Tambombararana n’est qu’un long solo de quinto, auquel le bongó tente de se mêler, sans succès. Placetas est une rumba comique, le style du chant indique clairement une columbia mais le rythme joué est un guaguancó. On y entend clairement une partie jouée sur un güiro. Le début du texte de la columbia a été repris par Afrocuba de Matanzas sous le titre ‘La Calabaza’, dont deux versions ont été enregistrées (la décima vient probablement de beaucoup plus loin). L’allusion à la marque de disques Coda pour lequel Chano enregistre est assez drôle (il s’agit en fait de SMC Pro-Arte, mais les deux labels appartenaient au même propriétaire, Gabriel Oller, dont nous parlerons plus loin).
Coro: Placetas e’, Remedios, CamajuaniSolista: Remedios, ¿ pa’ que me llama ?, Remedios, CamajuaniCoro: Placetas e’, Remedios, CamajuaniSolista: To mba ti ngwa Lowo, Remedios CamajuaniCoro: Placetas e’, Remedios, CamajuaniDecima:
Señores, voy a contarles (bis)lo que me pasó en mi casaYo sembré una calabazay me salió misteriosaNi una ceiba portentosaSus guías puede igualarPara empezarles a contar
de la calabaza mía:la partí y dentro tenía
diez maquinas y un centralEn una semilla había
más de mil habitacionesHabían puercos cebones
y otros objetos másHabía un cangrejo arando
un gorrión tocando un pitoDe risa muerto un mosquito
por ver a un burro estudiandoUn buen viejo regañando
sentado en una butacay una ternerita flaca,
que de risa estaba muertapor ver una chiva tuerta
comprando un disco Coda
Oyá Oyá o…,
Alaba tutú, alaba tutú
Oyá nsilé ku nfoyaE e e, a a a…
Solista: Placeta e’, Remedios CamajuaniRemedios me está llamando, Remedios CamajuaniIndia-a, India-a, India-a…
Decima:
Una gallina encontré,
por la calle cierto díaPara formar una cría
yo a mi choza la llevéLa huevera le toqué
temeroso de algun trucoLa pasé por el bejuco
creyéndola raza finay la maldita gallina
me puso un huevo cayucoOyá Oyá o-o, Oyá Oyá o-o
Alaba tu-tú, ala chihua-huaOyá nsilé kun foya, e e eSolista: Placeta e’, Remedios CamajuaniRemedios me está llamando, Remedios CamajuaniAché tó, ororo, achá tó, ororo…Coro: Placeta e’, remedio Camajuani
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Ya no se Puede Rumbear est elle-aussi une columbia chantée… sur un rythme de guaguancó. Chano chante, puis fait un solo de quinto, et pendant qu’il chante c’est le bongó qui improvise. La clave est – comme bien souvent dans les premiers enregistrements de rumba – « montada » sur les trois pièces. Il est d’ailleurs très étonnant de constater encore une fois le nombre de rumbas jouées « à l’envers » par rapport à la clave dans tous ces premiers enregistrements.
Comme le note très bien David Peñalosa, le tempo est rapide, comme s’il s’agissait de rumba ‘de cabaret’, puisqu’à l’époque il était fréquent qu’on mette sur scène un mini-orchestre de percussions pour accompagner dans des guaguancós frénétiques des danseuses-solistes à la peau claire et dénudée. Une fois tous ces éléments soulignés, peut-on dire qu’il s’agisse de véritable rumba ? On peut trouver de nombreux arguments dans les deux sens, mais si l’on adopte un point de vue de puriste, on dira que non. Il ne s’agit pas ici de dénigrer Chano Pozo en quoi que ce soit, mais d’autres enregistrements de rumba qui suivront seront de toute évidence plus authentiques.
Le quatrième morceau en question est une pièce abakuá, et là non-plus la forme n’est pas traditionnelle.
-L’album de Mongo Santamaría ‘Tambores Afro-cubanos’, 1952.Les premiers albums de Mongo Santamaría sont dédiés à la percussion afro-cubaine pure, c’est dire combien celui-ci accordait d’importance à ces musiques (afro-cubaines et rumba) par rapport à des musiques populaires « d’orchestre ». Dans ce disque les rumbas ne sont pas chantées, mais seulement instrumentales. Tout comme dans les enregistrements de Chano, tumbador et tres-dos sont probablement joués par le même musicien.
Il a été dit (notamment sur les pochettes des ré-éditions) et répété à tort que ce premier disque de Mongo a été enregistré à Cuba, ce qui est faux car absolument impossible : les studios de SMC sont bel et bien à New York. Selon d’autres sources – toujours sur les pochettes - c’est seulement le morceau « Conga Callejera » qui aurait été enregistré ‘en condition’ « dans un carnaval à Cuba » – comment peut-on croire cette affirmation fantaisiste ? À la simple écoute du disque on constate: le même son, la même chambre d’écho (mais qui donc a eu cette mauvaise idée de mettre de l’écho sur tous les morceaux… ?), un pseudo-bombo (sans doute un élément d’une batterie, le fût grave d’une timbal ?) qui ne résonne pas, une cáscara comme dans les autres morceaux, au maximum six musiciens… cette affirmation ne tient décidément pas debout…
Bien sûr, ce disque est le premier LP contenant des rumbas, mais seules deux rumbas y figurent – sans le moindre élément chanté. On est là dans la prestation de style ‘descarga’ comme dans les albums de Tito Puente (Puente in Percussion ou Top Percussion). On ne peut donc pas considérer que ce disque soit ‘le premier album de rumba’.
-L’album ‘Festival in Havana’, 1955.Nous avons déjà consacré il y a peu un long article sur ce disque. Il comporte bel et bien une face consacrée à la rumba, une rumba des plus authentiques, et une autre à la conga. Tous les morceaux de rumba seront repris dans le cd Tumbao Classics ‘El Yambú de los Barrios’ – sans que soit suffisament précisée l’origine des morceaux – tant celui-ci est censé être une ré-édition de l’album ‘El Vive Bien’ d’Alberto Zayas. Il existe donc bien un danger de confusion entre les deux disques.
Ce Lp – magnifique – est composé pour moitié de rumba et pour moitié de congas, d’ailleurs le titre de la ré-édition cubaine ‘la rumba y la conga’ est beaucoup plus adapté. Ce fait suffit à poser le problème suivant: encoreune fois, peut-on dire qu’il s’agisse réellement du premier disque de rumba ?
-L’album ‘Changó’ de Mongo Santamaría, 1955.Ce disque contient une problématique en soi puisque, si l’on en croit Cristóbal Ayala citant Martré, il devait être à l’origine un album de
Silvestre Méndez, qui était au départ directeur musical du projet. Que s’est-il passé pour que Mongo Santamaría récupère le projet et qu’il soit mis à son nom ? Y a-t-il eu, comme semble le croire Ayala, un disque de Silvestre portant ce nom, avec un saxophoniste et un trompettiste en plus ? Mystère…
Sur ce disque Mongo enregistre pour la première fois de ‘véritables’ rumbas, même si sur la première,
Margarito, on entend… une flûte (sic). Le chanteur Silvestre Méndez, auteur de la chanson, y réalise une prestation remarquable. Sa voix est cassée, comparée aux autres enregistrements, sans doute à cause des répétitions qu’il a dirigées dans… l’appartement de Machito.
Tito Puente a, lui, enregistré une version de ce morceau en 1955 dans un album de Mambo, et le chanteur était – d’après la pochette – «
El Viejo Macucho ». Était-ce à l’origine un mambo ou une rumba ? Nous verrons que le problème se posera à nouveau pour d’autres chansons.
A ti te gusta la rumba Margarito, e ay a mi me gusta el bembé (bis)¿Tú sabes por qué? (bis)Porque el bembé tiene Oyátiene oñí, y amaladdéY en el bembé baila Ochúnbaila Oyá, y Orí YeyéOrí Yeyé, Orí YeyéEl bembé, cosita buenaEl bembéBáilala como ayerEl bembé(etc…)Dans la rumba suivante,
Caumbia (une columbia), la flûte apparaît à nouveau. Deux autres rumbas, une columbia et le guaguancó qui constitue remarquable réponse à la rumba ‘
El Vive Bien’ de
Roberto Maza («
Consejo al Vive Bien ») complètent la partie rumba de ce disque, soit quatre morceaux. Difficile donc – lui non plus - d’en faire un véritable disque de rumba.
Nous avons déjà dans d’autres articles dit combien le succès de la chanson «
El Vive Bien » avait été grand à Cuba, et comment ‘
Consejo al Vive Bien’ constitue un commentaire et une réponse à celle-ci. La seconde est logiquement consécutive à la première. Un autre mystère se met donc ici en évidence: si en 1955 est sorti cet album de Mongo (ou de Méndez) avec le morceau ‘
Consejo al Vive Bien’, comment peut-on admettre que le 78 tours ‘
El Vive Bien’ soit sorti seulement en 1956 ? Le Lp de Mongo est-il sorti plus tard ou les 78 tours de Zayas sont-ils sortis plus tôt ? Les précisions données par la discographie d’Ayala ne permettent pas d’étayer une hypothèse :
La nomenclature des disques Panart citée par Ayala est confuse : le 78 tours contenant la chanson «
El Vive Bien » porte le numéro P1915. Le disque Panart numéroté P1910 est un disque de la
Orquesta Riverside daté par Ayala en 1957. Celui portant le numéro P1914 (précèdant immédiatement
El Vive Bien) du duo
Cabrisas-Farach est daté ainsi :
circa 1956 (sic). Un 78 tours Panart de
Yoyo Casteleiro y su Conjunto porte le numéro P1867 et il est daté de 1956, un autre porte le numéro P1912 et est également daté de 1956. D’autres albums de la
Orquesta Panart portant les numéros P1934 et P1947 sont datés de 1958.
Si nous cherchons dans l’autre direction, sachant que le Lp (en fait un disque 10 pouces, ou ‘25 cms’) de Mongo est référencé sous le numéro Tico LP-137, on trouve que le LP-135 (
Arsenio Rodríguez, Authentic Mambos vol.1) est également daté de 1955 (date d’édition). Le LP-129 (
Joe Loco, Mambo USA) est daté de 1954. Tous les autres LP autour de celui de Mongo (qui est l’avant-dernier LP 10 pouces du catalogue Tico) sont supposés avoir été édités en 1955, dans les différentes discographies que nous avons pu trouver. Le mystère est donc insoluble… Il est impossible que Méndez ait connu cette rumba à Cuba avant de partir – il est parti dans les années 1940. Et, comme il le dit lui-même dans le texte de sa « réponse » :
‘Aunque estamos en la Unite’ (…)nos hemos enterados muy biendel chisme de la cocinera’
‘Bien que nous soyons ici aux USA,nous sommes parfaitement au courantde l’histoire de la cuisinière’
(pochette de la ré-édition cd Tumbao Classics) -Les sept 78 tours du ‘Grupo Afrocubano Lulu-Yonkori’ d’Alberto Zayas, 1956.De ces sept disques, seulement six ont été ré-édités dans le LP «
El Vive Bien ». Les deux rumbas contenues dans le septième (Panart 2033) sont intitulées «
Guaguancó de los Paises » et «
El Edén de los Roncos ». On connaît les deux grâce à
Barry Cox et à sa compilation ‘Old School Rumba’ (avec d’autres titres, à télécharger sur esquinarumbera). Le premier figure également dans le cd «
La Rumba de Matanzas a La Habana » (vol.2), sorti en 2008 chez Egrem (Egrem CD-0910-2).
-Le 78 tours d’Arsenio Rodriguez, 1956.De ces deux rumbas des plus authentiques, la première est une columbia,
Adios Roncona, et la seconde,
Con Flores del Matadero, ressemble fort à un yambú, fait très rare dans cette discographie des premières rumbas, même si le refrain est celui d’un guaguancó. La chanteuse, très probablement la propre sœur d’Arsenio,
Estela Rodríguez, qui délivre une prestation honnête sur le yambú, se révèle être une redoutable columbiana (fait rare pour une chanteuse de rumba) sur l’autre morceau : sa prestation est assez étonnante. Nous nous rappelons que – et nous comprenons mieux pourquoi - El Goyo nous a dit avoir passé un mauvais moment dans une rumba lors d’un « duel » de columbianos où il à été confronté à Estela et où il s’est senti tout simplement surpassé…
Arsenio gravera deux autres rumbas, en 1963, sur l’album ‘
Cumbanchando con Arsenio’ (SMC Pro-Arte 1074) :
Corriendo Fortuna (une columbia) et
Guaguancó en el Remeneo. Arsenio chante lui-même la columbia, et est peut-être également le soliste dans le guaguancó, chanté principalement à plusieurs voix.
Il est également bon de citer les performances afro-cubaines du groupe d’Arsenio où ils mélangent tres, contrebasse, congas et chants afo-cubains lors du Festival de la Smithsonian Folkways en 1969.
Mais, plus étonnant encore, une rumba avec orchestre (trompettes, basse et piano) enregistrée par Arsenio en… 1945 !! Le titre est
Timbilla, et il s’agit de la face A d’un 78 tours (RCA Victor V23-0362, sous titrée ‘rumba de cajón’ – sic) dont le face B est un bolero,
Agonía (RCA Victor V23-0363). Si l’on accepte les rumbas de Chano comme les premiers enregistrements historiques, alors… pourquoi-pas celle-ci ?
Pour écouter toutes ces rumbas d’Arsenio, je vous invite à aller sur le site http://fidelseyeglasses.blogspot.com
-Les 78 tours de Guaguancó Matancero, 1956.On sait combien la rumba ‘
Los Muñequitos’ sera importante pour ce groupe, et que son succès sera tel qu’il sera contraint de changer son nom pour adopter définitivement celui de «
Los Muñequitos de Matanzas ». Les anectodes sont nombreuses et connues à propos de l’histoire du groupe, et il serait fastidieux de les rappeler à nouveau ici.
Des deux 78 tours cités plus haut, il est difficile de savoir d’après leurs numéros dans le catalogue Puchito (298 et 309), peu éloignés l’un de l’autre, s’ils ont été édités simultanément ou s’il y a eu un laps de temps entre leur dates respectives de parution.
La photo ci-dessus tendrait à prouver qu’il ne s’agisse pas de 78 tours, mais de 45 tours, à moins que les deux formats n'aient co-existé.
Il est étonnant, étant donné la célébrité du groupe, que personne ne se rappelle avec certitude de l’année où ils enregistrèrent leurs premiers disques, ni que l’on n’ait posé la question à l’un des membres-fondateurs du groupe lors d’une interview.
Chacha Vega dit lui-même dans le dvd ‘
El Lenguaje del Tambor’ qu’il alla enregistrer pour Puchito en remplacement de
Pellado, et que la seconde fois Puchito n’a pas voulu de Pellado et a exigé que Chacha joue à nouveau le quinto. Parle-t-il de deux sessions d’enregistrement de 78 tours ou la seconde fois ont-ils enregistré les morceaux complémentaires pour le Lp ? Mystère…
En tout cas nous avons bien là un véritable disque complet entièrement consacré à la rumba.
-Le Lp ‘Guaguancó’ (Guaguancó Matancero et Papín y sus Rumberos), 1956.La date de parution de ce Lp nous semble problématique : il est difficile de croire que l’album regroupant plusieurs 78 tours ait pu sortir dans la même année que ces derniers. Soit la date de 1956 est exacte, et les 78 tours ont pu sortir avant (après tout, les premières prestations de Guaguancó Matancero dans la capitale ont eu lieu dès 1953), soit – et c’est plus probable – le Lp n’est sorti que plus tard.
D’un autre côté, pourquoi Papín y sus Rumberos, le quartet qui deviendra « Los Papines » n’aurait-il pas eu la même opportunité que Guaguancó Matancero d’enregistrer chez Puchito des 78 tours ?
-Le Lp ‘Oriza’ (Silvestre Méndez), 1958.Grâce au livret figurant dans le cd, la date d’enregistrement de cet album est précisément connue : août 1958 à New York. Silvestre était chanteur, danseur, auteur prolifique de rumbas ainsi que de morceaux de tous styles ayant connu un grand succès, et finalement également inventeur du rythme Oriza.
Ce disque comporte seulement deux rumbas sur 12 morceaux: une columbia,
Ven Franscisco, un guaguancó,
No Vayas a la Rumba, inspiré d’un morceau déjà enregistré par Chano avec son orchestre en 1947.
En dehors du caractère historique de ce disque, on ne peut dire non plus ici qu’il s’agisse d’un véritable disque de rumba.
-Le Lp ‘Guaguancó vol.2’ (Guaguancó Matancero et Papín y Otros), 1958.Le Lp original et sa pochette ont complètement disparu, seule la ré-édition Antilla est connue.
Guaguancó Matancero est présent sur trois morceaux dans sa formation-type, et accompagne Merceditas Valdés sur deux autres morceaux.
Papín y sus Rumberos est présent sur seulement deux titres. Pourquoi y figure également pour cinq morceaux l’orchestre appelé «
Laito y su Conjunto » ? Laito (Estanislao Sureda Hernández), est un ancien membre du Conjunto Casino, de Conjunto Kubavana, de la Orquesta América, de la Sonora Matancera, du Conjunto Roberto Faz, autant d’orchestres prestigieux, mais il n’a jamais, comme Silvestre Méndez ou Mongo Santamaría touché de près ou de loin au monde de la rumba – pourquoi alors lui laisser près de la moitié du disque ?
Le projet artistique de cet album ne semble pas cohérent. Ce disque n’est-il qu’une compilation de divers 78 tours ? La ré-édition Antilla correspond-elle exactement au Lp Puchito original ? Pourquoi ce dernier reste-t-il introuvable ? Autant de questions qui resteront visiblement sans réponses… Encore une fois, tous ces facteurs ne font pas de ce disque un véritable album de rumba.
-Le cd ‘Rumba Abierta’ (Los Muñequitos de Matanzas), 1958, édité en 1999.Ce cd est encore plus mystérieux que le précédent, et ajoute une ligne à la (déjà très compliquée) discographie des
Muñequitos. Le disque n’est chroniqué nulle part, sauf sur descarga.com où l’on apprend qu’il a été enregistré sur un label complètement inconnu,
Rosy records (label américain ?) et est resté enfoui sous des complications contractuelles – le groupe ayant changé de label - et sans doute politiques, avec l’avénement de la révolution de 1959. Rendons gloire à ceux qui ont su quarante ans après re-sortir ces trésors. Un jour peut-être auront-nous droit à d’autres surprises du même genre : Mark Sanders a publié sur son site fidelseyeglasses 11 morceaux inédits des Muñequitos des années 1970, qui sont des nouvelles versions de morceaux déjà publiés, mais avec des musiciens qui ont – eux - peu enregistré avec le groupe, tel
Victoriano ‘Titi’ Espinoza au quinto.


-Le Lp ‘Yambú’ (Mongo Santamaría), 1958. Enregistré en décembre 1958, ce disque présente la particularité de contenir pour la première fois dans notre discographie un cajón - mais un seul - en tant que quinto, probablement joué soit par Mongo, soit par
Francisco Aguabella, et en tout 4 rumbas (sur 10 morceaux):
Macunserere (guaguancó),
Yambú,
Mi Guaguancó (au relents de yambú), et
Columbia. Les prestations vocales de
Israel del Pino sont loin d’être exceptionnelles, et les parties vocales du disque sur les rumbas sont réduites au minimum. Comme l’indique le manque d’inspiration visible dans les titres des rumbas, il ne s’agit pas de véritables chansons, et seule prime la performance de la percussion, comme dans les précédents albums de Mongo.
Encore une fois, on ne peut considérer ce disque comme un véritable album de rumba. Il sera ré-édité dans ce qui restera parmi les percussionnistes l’album le plus connu de Mongo :
Afro-Roots.
(la ré-édition Afro-roots) -Le Lp ‘Mongo’ (Mongo Santamaría), 1959.Enregistré en mai 1959, ce disque constituera la seconde partie du double-album « A
fro-Roots ». Il reste dans la même veine que le précédent, même si les musiciens et les styles abordés sont plus nombreux (latin-jazz, son, créations à base de musiques traditionnelles), et dans les rumbas les parties vocales sont encore une fois limitées, la priorité étant encore une fois la performance de la percussion
On y trouve seulement deux rumbas :
Meta Rumba et
Chano Pozo.

(la ré-édition Rumba records) -Le Lp ‘Celeste Mendoza’, 1959.Enregistré ‘vers 1959’ selon Ayala, ce disque comprend un répertoire de chansons où Celeste est accompagnée par l’orchestre de Bebo Valdés, et deux rumbas :
«
La Confianza » est un guaguancó en mineur des plus classiques, peut-être véritable, c’est-à-dire non inspiré d’une chanson d’un autre style. Curieusement, il ne comporte pas de refrain…
«
Zoraida y Juan José » est exactement du même style que le précédent, avec une belle décima dans la première partie (
Zoraida):
Que importa que seas bonitasi que tengas lindo tallesi eres mujer de la calley pila de agua benditayo no tengo la culpitade tu indigno procederpor eso yo te hago sabermujer malvada y perversanacida a la viceversade todo que va a nacerpuis la chanson vire à un autre morceau (
Juan José, avec un refrain cette fois), que Celeste enregistrera plus tard sous le titre ‘
Allá en el Barrio de Versalles’.
-Le Lp ‘Guaguancó Afro-cubano’, 1960.Ce disque – dont nous avons déjà parlé maintes fois dans d’autres articles - a toujours été considéré comme le premier disque de rumba de Cuba. Il faut préciser que ce n’est pas ce disque, mais les 78 tours parus avant lui qui sont seuls dignes de porter ce titre.
Tous les morceaux qui le composent, sauf deux, sont parus en 1956 dans les 78 tours Panart. Deux éléments nous paraissent – après mille réflexions à propos de ce disque – problématiques :
1° Pourquoi est-il sorti si tard, alors que l’immense succès de la rumba «
El Vive Bien » aurait justifié sa sortie bien tôt ? La date de 1960 n’est-elle pas erronnée ?
2° Ce disque apparaît partout sous le nom de
Alberto Zayas, alors que si l’on regarde attentivement la pochette, c’est bien le chanteur,
Roberto Maza «
El Vive Bien » qui semble être en vedette. Le disque serait sorti en 1960 – année de son assasinat : doit-on y voir un hommage posthume ?
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-Les deux 78 tours de Carlos Vidal Bolado.Une fois cette discographie re-précisée, réorganisée et analysée, interessons-nous maintenant à ce qui a motivé cet article : la re-découverte de deux 78 tours de
Carlos Vidal Bolado, complétant la série « Ritmo Afro-cubano » entamée par Chano Pozo chez SMC Pro-Arte.
L’homme qui a retrouvé ces enregistrements se nomme
Myron Ort alias «
Xeno ». Il les a publié sur son site, où l’on peut les écouter,
ICI.(Carlos Vidal Bolado 1950s - Photo David Vidal)
Carlos Vidal Bolado est un percussionniste cubain, connu essentiellement pour avoir été le conguero des
Afro-cubans, l’orchestre de
Machito. Arrivé aux Etats-Unis en 1943, il est né le 7 février 1914 à Matanzas et il est décédé le 25 août 1996 à Los Angeles, à l’âge de 82 ans. On le voit sur les magnifiques et célèbres photos de l’orchestre de Machito prises par William P. Gottlieb en 1940, en compagnie de José Mangual au bongó.
(Ubaldo Nieto, Machito, Carlos Vidal, foto: William Gottlieb)
En 1948, pour des raisons inconnues (probablement pour des cachets trop peu élevés), Vidal aurait créé une scission dans le groupe de Machito (une caballe apparemment dirigée contre
Mario Bauza), et en serait finalement parti, suivi seulement par le bassiste
Julio Andino, pour jouer sur la côte ouest avec l’orchestre de
Miguelito Valdés.
Avec ce dernier orchestre, Carlos Vidal composera et enregistrera en 1949 un morceau en hommage à Chano (voir Tumbao TCD 308). Il a joué et enregistré avec de nombreux musiciens de jazz et de musique latino, tels Dizzy Gillespie, Dexter Gordon, Fats Navarro, Pérez Prado, Stan Kenton, Charlie Parker, Miles Davis, Shorty Rogers, Jimmy Giuffre, Shelly Manne (il participa à l’enregistement plus de 40 albums entre 1947 et 1966)
À propos du contenu musical des enregistrements:Le premier morceau appelé '
Ritmo Afro-cubano n°5 (Rumba)' est - tout comme le
Placetas E de Chano Pozo dont nous avons parlé plus haut une columbia chantée sur un rythme de guaguancó. Dans la première partie, le chant et les choeurs sont complètement indépendants de la clave, ce qui est très étrange. La clave n'est pas jouée, et si la polyrythmie est très confuse, on entend manifestement trois joueurs de tambour (encore que le tres-dos soit difficilement audible). Le refrain chanté est conforme à la clave, et permet d'entendre plus clairement la polyrythmie. Un court solo de quinto est joué, pendant lequel le catá joue moins fort. Le chanteur reprend (curieusement) une sorte de décima pour relancer le refrain, et la pièce finit sur un "
efecto" joué par les tambours à l'unisson. L'ensemble parait relativement authentique, même si certains éléments surprennent. Outre le chanteur et les quatre percussionnistes, on y entend un choeur mixte relativement nombreux, d'au moins quatre personnes.
Le second morceau, '
Ritmo Afro-cubano n°6 (Santo)' est un mélange de güiro et de bembé, un peu comme à Matanzas (Vidal est matancero d'origine), et on y entend une guataca (et non une cloche), un seul chékere, et trois tambours dont le soliste semble être le tambour medium, curieusement. L'akpwón(a) est une femme, qui, d'après Mark Sanders, serait
Mercedes Hernández, une chanteuse qui apparait seulement en tant que choriste dans quelques disques de Mongo Santamaría. La prestation de cette dernière est pour le moins curieuse, et elle chante pour plusieurs Orichas, dans un ordre pour le moins aléatoire:
1° Ochún:Ochún kere kete mi obbó (bis)Omi'ddara oddara o keOchún kere kete mi obbóOmi'ddara oddara o ke Ochún kere kete mi obbó2° Obatalá confondu avec Babalú Ayé (sic)Okete ona o ma se niye (oni Baba)Okete ona o ma se niye, oni Baba (o)Babalú Ayé a wá Lerí so, oni Baba (bis)3° YemayáYemayá e, Awoyó, Awoyó YemayáYemayá e, a Loddo, Awoyó Yemayá4° YemayáYemayá loddeAwoyó a e, Awoyó(Mercedes Hernández - foto: fidelseyeglasses)
Le choeur est beaucoup plus réduit que sur le premier morceau, et comprend deux hommes, plus la chanteuse qui est visiblement contrainte de renforcer le choeur. Si ce morceau - et c'est un évenement - constitue un des premiers de ce style jamais enregistré (quasiment en même temps du moins la même année que le Lp "
Santero" - Panart 1414) on est très loin de la qualité musicale du disque cubain: les chants, qu'il s'agisse ou non de Mercedes Hernández, sont entâchés d'erreurs jamais constatées ailleurs, telles qu'on ne peut prendre cet enregistrement au sérieux. En effet, l'erreur la plus flagrante (répétée par le choeur) est la confusion entre un chant pour Obatalá et un autre (à la mélodie similaire, il est vrai) pour Babalú Ayé: on commence avec la moitié de l'un et l'on poursuit avec la moitié de l'autre!! De plus le premier chant pour Yemayá est lancé par le choeur. Ce chant présente une difficulté car il commence 'de l'autre côté' de la clave: c'est le signe manifeste que la chanteuse ne sait le lancer "dans le bon sens", et une autre preuve flagrante d'un manque de connaissance en la matière. D'autres éléments posent problème, mais les deux que nous venons de citer suffisent à prouver qu'en matière de chants Lucumí nos musiciens sont des novices.
Le troisième morceau '
Ritmo Afro-cubano n°7 (Abacua)' est assez remarquable, même si on peut y noter des éléments curieux: une ou deux femmes chantent dans le choeur, ce qui, pour des raisons religieuses et de style, "ne se fait pas". La cloche joue une clave plus proche d'une cellule rythmique congo ou yoruba que purement abakuá, comme dans les enregistrements de Mongo Santamaría. La partie jouée par le tambour medium semble curieuse. Le bonkó enchemiyá est relativement discret au début de la pièce mais remplit assez bien son rôle ensuite. Il semble qu'on ait bien trois parties de tambour séparées en guise d'accompagnement. Les chants sont en clave, sans erreur de rythme, avec des paroles plutôt cohérentes. Il faut préciser qu'à Cuba le culte abakuá s'est ouvert aux métis et aux blancs bien avant les autres, ce qui fait que les pièces de musique abakuá sont généralement mieux jouées dans les disques que les pièces yoruba ou congo, car mieux connues. Nombreuses, en tout cas, sont les adaptations ou les références au culte abakuá dans les musiques populaires entre 1920 et 1950, plus en tout cas que les pièces d'inspiration yoruba ou congo.
Le dernier morceau '
Ritmo Afro-cubano n°8 (Guaguanco)' est assez remarquable, même si une nouvelle fois la prestation de la chanteuse - qui semble bien être la même que sur le morceau "
Santo" - est discutable: elle répète plusieurs fois "
Guaguancó no se vacuna" (sic). Elle se plaint en outre '
la segunda no la oigo' ('je n'entends pas la seconde voix'). Qu'elle se nomme ou non Mercedes Hernández, elle n'est décidément pas très à l'aise, ne prend pas son temps entre chaque phrase, et ne lance pas le refrain, qui démarre sans son aide. Le choeur 'sonne' comme un choeur de rumba 'vieux style', influencé par celui des coro de clave. La percussion est assez authentique, avec semble-t'il trois tambours joués par trois musiciens. La clave est jouée au début du morceau dans le style d'une campana de conga, puis se stabilise en une cellule curieusement plutôt ternaire, puis à l'arrivée du refrain elle disparaît pour être remplacée par une cáscara.
Si l'on compare ces enregistrements avec ceux de Chano Pozo qui les ont précédés, on constate que le style en est assez différent, plus suave, moins tendu. En effet, la prestation des percussions chez Chano, est, comme le remarque David Peñalosa, plus proche d'un style 'de cabaret' (trop) rapide, les choeurs sont moins réussis, mais la prestation vocale de Chano est bien supérieure à celles des trois chanteurs recrutés par Carlos Vidal. À l'écoute du quatrième morceau de Vidal, on est beaucoup plus proche de ce que l'on pourra entendre sur le Lp 'Festival in Havana', en tout cas le style est plus cohérent. Recruter des musiciens cubains en mesure d'enregistrer de telles musiques n'a pas dû être chose facile dans le New York des années 1940, à cause de l'absence de musiciens noirs (et donc censés être plus) compétents. Peut-être a-t-'il embauché des musiciens amateurs, tant ces musiques ne sont pas forcément l'affaire de professionels jouant dans les cabarets.
L'accord hypothétique entre SMC Pro-Arte et Chano Pozo:
Chano Pozo aurait signé (ce n’est qu'une hypothèse) un contrat pour enregistrer quatre 78 tours avec
Gabriel Oller, patron des disques Coda et SMC, et il n’en gravera finalement que deux. C’est Carlos Vidal qui aurait « terminé » le contrat de Chano : cette théorie est très plausible, puisque les numéros de catalogue des disques se suivent. Il est cependant très difficile de répondre à une question cruciale : les enregistrements de Carlos Vidal ont-ils été faits immédiatement après ceux de Chano (au début de l’année 1947) ou après la mort de Chano ? (fin 1948 ou début 1949). Plusieurs faits étayent plusieurs théories possibles : les numéros de catalogue de SMC Pro-Arte se suivent entre les 78" de Chano et ceux de Vidal, mais les numéros de matrice ne se suivent pas (c’est la théorie de Myron Ort) : le système de numérotation des matrices a entre-temps changé (à l’occasion d’un changement de partenariat, Oller devenant le seul patron de la SMC à partir de 1948), et si celles des disques de Chano portent les numéros 1084, 1085, 1086 et 1087, celles de Vidal portent les numéros SMC97, SMC98, SMC99, SMC100. Doit-on en conclure qu’au moins 96 enregistrements de morceaux ont eu lieu dans les studios SMC entre ceux de Chano et de Vidal ? Une autre théorie est celle de Mark Sanders, assez logique, qui consiste à dire que Vidal a terminé le contrat de Chano après la mort de celui-ci, soit au moins 22 mois après. Les deux théories peuvent se recouper… encore faudrait-il admettre :
1° qu’on n’ait enregistré que 96 morceaux en 22 mois (minimum) chez SMC Pro-Arte, soit seulement cinq morceaux par mois ?
2° que Gabriel Oller, directeur de la SMC ait eu la patience d’attendre près de deux ans que Chano (ou Vidal à sa place) remplisse ou non son contrat ?
(José Mangual, Mario Bauza, Ubaldo Nieto, Carlos Vidal - foto: W.Gottlieb)
Les deux années de gloire de Chano à New York.Essayons de replacer les choses dans leur contexte et intéressons-nous aux activités de Chano à partir de janvier 1947, moment où celui-ci est arrivé à New York, essentiellement au moyen du livret du coffret Tumbao qui nous fournit de nombreux éléments.
Chano était déjà présent à New York, bien avant son arrivée en tant que musicien, à travers le succès de ses compositions, déjà jouées par plusieurs orchestres à New York. Miguelito Valdés, lui, était à l’époque une véritable star, et partageait avec d’autres artistes la scène du cabaret La Conga, dont le succès était tel qu’il surpassait aisément les autres cabarets latinos. C’est à La Conga que Chano est monté sur scène pour la première fois avec Miguelito, et il fut rapidement engagé pour quelques semaines. Puis il travailla avec Katherine Dunham pour sa revue « Bal Nègre », pour quelques semaines également. C’est à cette époque qu’il enregistra pour SMC (entre autres) ses quatre morceaux de la série ‘Ritmo Afro-cubano’.
(Les orchestres de Machito et de Tito Rodríguez au Palladium)
Rappelons-nous les musiciens cités par
Max Salazar (via Ayala) lors de la session d’enregistrement (le 4 février 1947): Chano Pozo (chanteur soliste et solo de quinto et de bonkó)
Miguelito Valdés (chant et percussions éventuelles),
Arsenio Rodríguez (chant et percussions éventuelles),
Carlos Vidal (congas) et
Bilingui Ayala (bongó). Max Salazar dit qu’
Olga Guillot était également présente, à la demande de Gabriel Oller, directeur de la SMC. Dans le livret du coffret consacré à Chano Pozo,
Jordi Pujol contredit les dires de Salazar : selon lui étaient présents - outre Chano – aux percussions
Miguelito Valdés,
Kike Rodríguez (le frère d’Arsenio, qui en réalité ne s’appelait pas Rodríguez mais Travieso) et
Carlos Vidal, avec au bongó
José Mangual. C’est cette seconde version que semble accréditer David Peñalosa.
Trois jours plus tard (nous dit Pujol), le 7 février, Chano revient au studio pour graver, cette fois-ci pour le label Coda (également propriété de Oller) avec un orchestre re-baptisé
Orquesta de Chano Pozo (en réalité l’orchestre de Machito) et Arsenio Rodríguez. Les mêmes musiciens enregistrèrent également, comme convenu avec Oller, des morceaux pour Olga Guillot. Le 10 février ils reviennent à nouveau pour enregistrer avec l’orchestre de
Marcelino Guerra et (encore une fois) Arsenio Rodríguez.
À partir de là Chano ne cesse de jouer à New York dans les cabarets et les théâtres, avec Miguelito Valdés, avec Olga Guillot, et dans les concerts de « rumba » le dimanche au Manhattan Center (également organisés par Oller et « Pancho » Raymond) où ses démonstrations faisaient sensation. Il revint ensuite travailler à La Conga, avec son propre numéro de musique et de danse avec sa maitresse, la danseuse Cacha.
Au printemps 1947 Mario Bauza le présente à Dizzy Gillespie, qui monte à cette époque son propre orchestre de 17 musiciens et Chano commence bientôt à jouer avec ce dernier. L’orchestre sera engagé du 10 juillet au 28 aôut 1947 au club Downbeat, mais sans Chano. Le 29 septembre un grand concert est organisé au
Carneggie Hall où se produisent
Charlie Parker et Dizzy en quintet, et enfin le grand orchestre de Dizzy avec Chano cette fois.
Ella Fitzgerald vint également chanter avec l’orchestre à la fin du spectacle. C’est à partir de ce concert que l’orchestre de Dizzy prit son réel essor. S’en suivit à partir du 9 octobre une semaine de concerts à l’Adams Theatre de
Newark (New Jersey), puis de nombreux concerts dans les états de l’est jusqu’au 31 octobre, où l’orchestre revient à New York pour une semaine à l’
Apollo de Harlem. En novembre l’orchestre repart en tournée à
Detroit, puis
Chicago,
St Louis, et revient répéter à New York pour ses premiers enregistrements pour la RCA Victor, avec laquelle Dizzy est maintenant sous contrat, qui eurent lieu à partir du 22 décembre 1947. Chano compose alors avec l’aide de
Gil Fuller «
Manteca » qui sera le véritable hit de cette période.
Ensuite les choses s’accélèrent encore :
L’orchestre part en tournée du 16 janvier au 12 mars 1948 en
Europe. En avril 1948 Chano participa au premier enregistrement que
Milt Jackson réalisa en tant que leader. En mai Chano joue avec Dizzy à nouveau au
Carneggie Hall, puis à
Philadelphie, à
Chicago, à
Pittsburg, en juin à
Reading (Pennsylvanie) et de nouveau 15 jours à New York. En juillet l’orchestre part en tournée sur la côte ouest, à
Oakland, puis pendant un mois à
Los Angeles, puis à
San Francisco. En septembre ils restent une quinzaine de jours à
Chicago. De retour à New York à partir du 30 septembre ils jouent tous les jours au
Royal Roost pendant un mois. Ils enregistrent pour
Blue Note en octet. Puis ils jouent une semaine à l’
Appolo, puis partent en tournée dans le sud.
Le 22 novembre à
Raleigh, Caroline du Sud, on vola les costumes de Dizzy et les deux tumbadoras de Chano dans les loges du théâtre. Chano fut contraint de rentrer à New York pour trouver d’autres tambours. Il acheta bien très vite deux nouveaux tambours, mais ne voulut pas reprendre la tournée avec Dizzy dans le sud (raciste), et préféra rester à New York, prétextant auprès de Dizzy… ne pas encore avoir trouvé de tambours. Chano est mort le 2 décembre 1948, assassiné par un dealer cubain qu’il avait malmené (au couteau) quelques jours plus tôt, pour un différend de 15 dollars, prix payé pour une marijuana de mauvaise qualité.
Si l’on accepte l’idée que Chano devait encore enregistrer pour la SMC quatre autres titres, pourquoi celui-ci ne l’a-t’il pas fait entre mars 1947 et septembre 1947, alors qu’il fréquentait encore souvent Gabriel Oller ? On comprend aisément qu’après ces dates ses engagements avec Dizzy ne lui en auront pas laissé le temps… Mais Chano était-il homme à tenir ses engagements, quand on sait que Oller l’avait payé seulement 30 dollars pour l’ensemble de ses précédents enregistrements – un de ses premiers contrats à New York, il est vrai. Chano était-il insatisfait de ces premiers enregistrements, réalisés sans préparation aucune? Gabriel Oller lui-même tenait-il vraiment à ce que Chano renouvelle l’expérience ? Avait-il confiance en lui ? Il faut savoir que Chano avait fait quelques (courts) séjours en prison à Cuba, et que, quelques temps avant son départ de Cuba, il fit beaucoup parler de lui. En effet, ayant réclamé avec fracas ses droits d’auteur à La Havane au directeur de la Sociedad de Autores, Ernesto Roca, ce dernier demanda à Santos Ramirez de s’armer et de garder la porte de son bureau. Quand Chano revint il blessa Santos Ramirez d’un coup de couteau, qui lui tira en réponse trois balles dans le corps, dont l’une ne put jamais être extraite, et que Chano garda jusqu’à sa mort, au beau milieu de son dos.
Pourquoi alors Oller n’aurait-il pas demandé spontanément à Carlos Vidal d’enregistrer des morceaux afro-cubains et de rumba, qu’un contrat non-honoré par Chano aît été signé ou pas ? Oller avait peut-être tout simplement envie de compléter son catalogue avec quatre nouveaux titres qu’il auraient pu déboucher sur un projet de Lp. C’est une théorie à laquelle adhère Myron Ort. Mais pourquoi alors le Lp n’est-il pas sorti ? Trop risqué, pas assez commercial ?
De toute façon les enregistrements de Vidal, qu’ils aient été réalisés en 1947 ou en 1948 resteront historiques. Notre propre théorie est qu’ils ont été faits peu après mars 1947, avant que la situation ne se dégrade entre Machito, Mario Bauza et Carlos Vidal, étant donné les relations d’amitié privilégiées entre Oller et Machito. En 1948, Machito avait remplacé Carlos Vidal par Luis Miranda - mais quand exactement?
(José Mangual, Machito, Carlos Vidal - foto: William Gottlieb)
-Gabriel Oller et ses labels Coda et SMC Pro-Arte.Pour étayer nos dires, essayons maintenant de décrire qui était Gabriel Oller. Pour cela nous avons consulté l’article de max Salazar sur celui-ci (dans Latin Beat Magazine).
Si les labels Coda et SMC Pro-Arte n’ont pas atteint la célébrité des « majors » ni des grands labels de jazz, on peut dire que ceux-ci ne sont pas anodins.
(foto: Herencia Latina)
Gabriel Oller est né en 1903 à Santurce, Porto-Rico, de parents espagnols. En 1917, les Portoricains accèdent au statut de citoyen des USA. Aussitôt débute une vague d’immigration vers les grandes villes américaines. Passionné d’électronique, Oller ouvrira en 1934 le second magasin de musique hispanique de Harlem, où il vendra des disques, des instruments, des appareils audio, etc… le Tatay Spanish Music Center. En janvier 1945 il fonde la Coda Recording Company, puis en 1947, avec Art « Pancho » Raymond la Spanish Music Center Recording Company. En 1948 il devient seul propriétaire de la SMC.
(Noro Moralés - foto: William Gottlieb)
Le domaine de prédilection d’Oller était un peu plus large que la musique dite ‘latino’ puisqu’il s’agissait de musique hispanophone en général, qu’elle soit argentine, mexicaine, espagnole, chilienne (ou même brésilienne).
Le premier artiste à enregistrer pour Coda a été Noro Moralés. D’autres artistes connus suivront, tels Miguelito Valdés, Alfredito Valdés (dont la version de Guantanamera chez Coda sera un hit), Tito Rodríguez, Arsenio Rodríguez, Cheo Belén Puig, Justi Barretto, le Conjunto Los Dandies de Julio Andino, Mongo Santamaría, le Trío Los Panchos, Sabu Martínez, Jóvenes del Cayo, Wayne Gorbea, etc…
En 1988 Oller prit sa retraite à Las Vegas, pour vivre avec son frère Tatay. Atteint par la maladie d’Alzheimer, il mourut écrasé par une auto en traversant une rue. Le neveu de son frère, Andrew Tatay, hérita du stock d’enregistrements, de photos, de contrats, de documents divers, etc… (des pièces historiques) des firmes Coda et SMC… qu’il finira par jeter à la poubelle (sic).
Il est assez difficile de trouver des enregistrements Coda ou SMC sur le net, mais les nombreuses photos qui suivent donneront une idée assez précise des différents types d’artistes ayant enregistré sur ces labels.
Artistes Coda: